Cet article explique bien le processus addictif du mélange sucré/salé/gras dont les industriels abusent. Ce processus atteint également nos propres cuisines. La grande mode des recettes salées/sucrées (contenant aussi souvent des graisses), nous amène souvent à en consommer plus que de raison, à nous resservir de ces plats très savoureux, qui apportent tant de plaisir. Ajouter du sirop d’érable, ou du sucre, des fruits secs sucrés, à des plats salés pour les rendre « exotiques », n’est pas une bonne idée.

Dans un ouvrage récemment traduit en français, le journaliste Michael Moss dénonce les fines stratégies et les recettes complexes de l’industrie agroalimentaire, basées sur l’utilisation massive de sucre, de gras et de sel.

Quelle est la recette du soda parfait? Comment faire en sorte que les parents achètent des charcuteries pas très glamours à leurs enfants? Comment «faciliter» la vie des gens en leur faisant acheter des tonnes de plats prêts à être mangés? A quel point la chips parfaite est-elle croustillante?

Dans les labos de recherche et développement des grandes entreprises alimentaires, on se pose tout un tas de questions de ce genre, avec un bataillon de spécialistes de la chimie, des neurosciences, du marketing, de la psychologie aussi. Michael Moss est allé voir tout ça de plus près, pendant plusieurs années, en interviewant professionnels et anciens cadres du secteur (dont la plupart, avec ou sans regrets, sveltes et sportifs, ne consomment pas de nourriture industrielle…).

A la suite de cette enquête au long cours, ce journaliste du New York Times, prix Pulitzer en 2010 pour son travail sur la viande contaminée, a sorti en 2013 un ouvrage très riche sur l’industrie agroalimentaire. Publié en français cet automne sous le titre Sucre, sel et matières grasses, comment les industriels nous rendent accros, ce livre décortique minutieusement les méthodes secrètes des marques pour créer l’envie chez le consommateur, l’envie d’acheter, de manger et de manger encore… Avec des conséquences graves sur l’obésité dans le monde entier, les maladies cardio-vasculaires, le diabète, l’hypertension et les autres maux liés à l’alimentation.

Selon Michael Moss, les ingrédients de cet alarmant tableau sont le sucre, le gras et le sel, et la manière dont ils sont utilisés dans l’industrie. Ils rendent accros, et sont soigneusement dosés pour que le consommateur soit heureux (et continue donc à acheter, car derrière tout cela il y a des chiffres d’affaires faramineux).

Point de félicité

Le sucre, d’abord, ingrédient phare et indispensable de l’agroalimentaire, est savamment dosé jusqu’au «point de félicité», c’est-à-dire, comme l’écrit Moss, «la quantité précise de sucre –ni plus, ni moins– qui rend la nourriture et les boissons délicieuses». Un concept un peu effrayant, mais qui permet de maximiser les ventes en donnant des envies irrésistibles aux mangeurs: notre goût pour un aliment augmente en même temps que la quantité de sucre, mais seulement jusqu’à un certain point. Après ce pic, l’attrait de l’aliment en question diminue. C’est une des formules magiques de l’industrie de la nourriture, qui évolue selon l’âge du client: sans surprise, les enfants supportent ainsi des quantités de sucre bien plus élevées.

Ce sucre, utilisé sous diverses formes, permet aussi de remplacer des ingrédients plus chers, comme les tomates dans le ketchup, et d’épaissir certaines textures. Ou d’accomplir «toute une ribambelle de miracles industriels: les donuts qui grossissent à la cuisson, la pain qui ne se gâte pas, les céréales dorées et légères».

Michael Moss se penche ensuite sur le gras, très fort aussi puisqu’on peut en manger d’énormes quantités sans même s’en apercevoir. A moindre coût, les matières grasses stimulent la surconsommation et améliorent la sensation en bouche.

Autre magie des processus industriels, les inventeurs de nouveaux produits peuvent rechercher la «disparition de la densité calorique», par exemple avec un biscuit apéro: «si un aliment fond rapidement dans la bouche, votre cerveau croit qu’il n’y a pas de calories dedans et vous pouvez continuez d’en manger éternellement». Or, le gras est parfait pour apporter une texture fondante aux produits.

Le sel, enfin, nous fait ressembler à des toxicomanes complètement accros, selon un des biologistes interviewés, même si le sevrage du sodium est possible en 6 semaines. Mais là encore, les industriels sont aussi accros que nous, car cette poudre blanche sert de conservateur. Très peu cher, le sel évite aussi d’utiliser d’autres ingrédients plus coûteux, comme les épices ou les herbes, et il masque certaines «fausses notes» inhérentes aux aliments transformés. Michael Moss goûte ainsi une version de corn-flakes sans sel, et avoue que c’est bel et bien dégueulasse.

Et la «véritable magie» opère quand les trois ingrédients sont réunis… Les recettes sont ainsi millimétrées pour plaire. Autre principe d’ailleurs utilisé par le secteur, la «satiété sensorielle spécifique», qui fait que si on mange un aliment en trop grande quantité, notre cerveau se lasse et nous envoie le signale «passe à autre chose maintenant!». On se s’ennuie très vite, mais on veut quand même des goûts identifiables, on veut de la surprise et du familier… C’est plutôt compliqué. Pour les interlocuteurs de Moss, Coca maîtrise à merveille «ce numéro d’équilibriste», avec sa recette qui le rend «oubliable, dans le sens où l’équilibre des goût [fait] que le cerveau [donne] continuellement son feu vert pour en absorber plus».

Commodité

Pour renforcer les effets de ces trois ingrédients addictifs, le marketing est là. Dans l’après-guerre, l’industrie agro-alimentaire veut «simplifier la vie du consommateur moderne» avec des produits «simples à acheter, stocker, ouvrir, préparer et manger». Voilà un autre grand concept du secteur, cette «commodité» fait vendre (ce qui permet de commercialiser par exemple un fameux jus d’orange en poudre bourré de sucre garanti 0% naturel). Il s’agira aussi de faire plaisir aux enfants ou de diminuer la culpabilité chez les adultes. Dans les années 2000, le marketing s’oriente vers les produits allégés, mais avec le goût du pas allégé… Ce qui donne des situations complètement absurdes décrites par Moss, comme par exemple chez Nestlé:

«Nestlé avait trouvé un moyen d’améliorer la distribution des gouttelettes de graisse pour faire croire aux consommateurs que les glaces allégées étaient grasses. Ils tentaient également de faire passer des huiles saines pour des graisses saturées grâce à un autre tour de passe-passe sensoriel, (…) une invention remarquable nommée “huile encapsulée”. Une huile saine –comme l’huile de tournesol ou de colza– est enrobée de sucre ou de molécules de protéine puis réduite en poudre. Quand on l’incorpore dans des biscuits ou des gâteaux, cette huile reproduit la sensation en bouche des graisses saturées mais cause moins de dégâts cardiaques: autant de plaisir pour le cerveau, moins de graisses saturées dans le sang.»

Au final, pourquoi produire cette nourriture clairement néfaste pour la santé? Pour Moss, c’est à cause de «la forte dépendance du secteur aux trois piliers de la nourriture industrielle» pour rendre les produits attractifs et appétissants, mais aussi des contraintes des actionnaires et de l’intensité de la compétition.

Mais il conclut malgré tout que, même si «le supermarché est un champ de mines prêtes à exploser», nous ne sommes pas impuissants, si nous sommes lucides et informés sur le fait que «les produits sont fabriqués, et pensés, pour être les plus appétissants possibles». Et c’est très réussi: Moss participe bien à cette prise de conscience, en détaillant minutieusement ce qui se passe dans les laboratoires de l’industrie agroalimentaire.

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